« Il est très profitable d’écouter des pièces en classe »
Zahia Ziouani
Elle met au défi l’idée que la musique classique serait réservée à une élite. Zahia Ziouani, cheffe d’orchestre, oeuvre pour la démocratisation culturelle et l’accès de tous à la musique.
En particulier les enfants avec qui elle a notamment choisi de travailler. Entretien sur quelques notes de Beethoven...
Au-delà de votre combat contre les stéréotypes et l'ouverture de tous les milieux à la musique, quelles sont les vertus de la musique en général ? Et de la musique classique en particulier ?
La musique est un art qui procure de belles émotions, quel que soit le style de musique. Je trouve que la musique classique a ce pouvoir d’amener différentes émotions en même temps. Quand on écoute une pièce, et aussi quand on la joue, on peut ressentir des moments de tendresse, parfois un peu de nostalgie et de tristesse, également des sentiments d’amour. Ces états d’esprit sont très forts quand on se produit en concert. Lorsque je travaille avec les enfants, je plaide toujours pour jouer à un moment donné sur scène, en live. Durant un concert symphonique, l’échange d’énergie avec le public est toujours incroyable.
Pourquoi avoir choisi de travailler avec des enfants ?
J’aime beaucoup leur faire découvrir un univers artistique qu’ils ne connaissent pas. Par nature, les enfants sont curieux, et la musique les ouvre aussi à éprouver des émotions qu’ils ne ressentent pas forcément. Le fait de pratiquer un instrument leur permet de développer leur capacité de concentration, en particulier sur les mouvements du corps. Par ailleurs, le mécanisme intellectuel lorsqu’on joue d’un instrument nécessite de traiter de nombreuses informations en même temps.
La musique permet enfin de travailler sur une meilleure confiance en soi et une meilleure estime de soi. Dans des territoires fragiles où les enfants ont tellement peu de repères et de perspectives, la musique leur permet de voir qu’ils ont un potentiel inexploité.
Quel est votre meilleur souvenir avec les enfants ?
Je citerais le concert que nous avons donné à l’Élysée en avril 2019. Nous étions invités à nous produire dans le cadre d’un concert, « Les mardis de l’Élysée », qui invite des collégiens, principalement d’Ile-de-France. Des jeunes de notre académie de Stains et de Seine-Saint-Denis ont participé et ils étaient très contents et fiers d’être là. Ils étaient méritants et avaient travaillé dur pour y arriver. Ils sont à l’image de notre société, de sa diversité sociale et culturelle. On a pu montrer que c’est possible.
Comment les enseignants peuvent-ils exploiter les vertus de la musique classique ?
Il est très profitable d’écouter des pièces en classe et je pense que les enseignants peuvent montrer que la musique classique n’est pas un art déconnecté du monde pour intéresser davantage les enfants. Certains compositeurs ont été inspirés par des faits historiques, des tableaux, ils ont douté aussi. Montrer que la musique est un univers simple rendra plus concret le lien avec les autres enseignements et donnera envie aux enfants de s’y intéresser.
Je pourrais conseiller trois œuvres : « La neuvième symphonie » de Beethoven pour le message universel fantastique, par rapport à son cheminement de vie, la révolution française, Napoléon, le lien avec la littérature. Les quatre mouvements sont différents et chacun mérite d’être analysé. J’aime beaucoup « La danse bacchanale » de Camille Saint-Saëns, pour la rencontre entre l’Occident et l’Orient, une pièce à mettre en relation avec les peintures orientalistes. Enfin, « L’oiseau de feu » de Stravinski, qui propose une autre façon d’entendre l’orchestre, les percussions, et que l’enseignant peut mettre en relation avec la danse.
Concernant l’égalité hommes – femmes, quel est votre regard sur la situation actuelle, mais également sur votre parcours, qui montrent le champ des possibles ?
Je constate qu’il y a eu quelques progrès mais encore beaucoup d’inégalités dans le milieu musical. En France, dix à quinze femmes sont cheffes d’orchestre et seulement une poignée sont à la tête d’un orchestre comme je le fais. Je me suis créée moi-même mes opportunités et j’ai montré la voie à une petite fille qui veut aujourd’hui devenir chef d’orchestre.
Les jeunes filles et les jeunes garçons ont besoin de voir qu’une femme est chef d’orchestre afin de montrer qu’il n’y a pas d’interdiction, pas d’impossibilité. C’est ce message-là qu’il faut faire passer, que je m’efforce de faire passer. Il y a une prise de conscience, comme la valorisation des femmes solistes mais le chemin est long, aussi, sur la question de la diversité, et des origines sociales. Le 21ème siècle sera celui de la réduction des inégalités.
Propos recueillis par Jean-Bernard Gallois, journaliste pour Lea.fr